Le premier bizuth que j'ai connu,
C'était moi timide et ingénu.
Venant d'un école mixte et privée
Je rentrais en sixième au lycée.
C'était lors mon jour de la rentrée
Rue d'Amsterdam au P'tit Condorcet.
Que des garçons, et plus d'un millier.
Le surgé forma d'abord les classes
En rang par deux, sous le grand préau,
L'ordre alphabétique étant le credo.
Mais pour moi c'était un peu l'angoisse.
Quand on m'appela, je vins me ranger.
Mon voisin dans le rang qui triplait
Etait un pervers surexcité.
Il m'a regardé sournoisement de côté.
Poliment des yeux, je l'ai salué.
Il a commencé par me traiter
De "petite machine à enculer
Les pétards" et il m'a demandé
Si je savais ce que ça signifiait.
D'un rire malsain, il a pétillé,
Et moi j'étais très interloqué.
Dans les salles de classe, je me suis éloigné
De ce triste sire qui m'indisposait.
Mais à la récré il m'a repèré
Et il m'a illico accosté.
Il m'a donné l'ordre, j'ai dû le porter
A travers la cour comme un cavalier,
Puis il a cherché un autre opprimé.
Auparavant, il m'a intimé
De revenir là pour me torturer,
Cinq minutes avant de retourner
En salle de classe après la récré,
Et moi comme un con j'ai éxécuté,
Je l'ai attendu, bien discipliné,
Impressionné par son autorité.
Je ne connaissais pas le mot bizuter.
Il m'a passé les bras écartés
Derrière la balustrade en fer forgé.
Dans le sternum, il m'a enfoncé
Ses poings repliés et les a tournés.
C'était douloureux mais j'ai enduré.
Puis j'ai dû encore le transporter
Sur mes épaules comme un prisonnier.
Il m'a fallu trois jours pour me révolter,
Ne plus accepter d'être torturé.
Cette navrante coutume a p'têt quelque intérêt
Pour nous apprendre à nous rebeller.
Mais il ne faut pas exagérer :
Les pauvres filles qui devaient traverser
Paris en pleine nuit déshabillées
Ont dû être salement traumatisées.
Absolument
véridique jusqu'aux détails même.
Je cafte après plus de soixante ans,
Il s'appelait Pierre Rabès. Je n'ai pas précisé dans
la chanson
que je devais l'appeler "Maître". Quel enfoiré !
Je rajoute que c'était aussi mon premier jour de cantine
et difficile et gâté comme je l'étais pour la nourriture,
j'étais très anxieux de me retrouver devant des plats inconnus.
Mon voisin de table Djouder, autre bizuthage plus léger,
Me fit croire que comme dessert, nous aurions du "Sandra".
Lui demandant ce que c'était, il me répondit très sérieux
:
"Ben, c'est du sang de rat, avec les poumons". Je le crus, bien
sûr,
et je fus largement soulagé de voir apparaître des crèmes
au chocolat.