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Recette de Noël pour l'an prochain par Jac PETIT-JEAN-BORET

RECETTE DE NOËL POUR L'AN PROCHAIN

Oui, bien sûr, pour l'an prochain ! Car pour cette année, c'est râpé ! Mais pas raté, attention !

Le premier ingrédient à choisir est déjà le temps, puis le mode et la personne.

Si l'infinitif est noble, professionnel, impersonnel, il est trop indigeste pour passer une bonne soirée de Noël avec.

L'impératif est un peu autoritaire, et surtout distant, s'il est employé à la deuxième personne du pluriel.

L'indicatif, présent, passé ou futur aurait un côté un peu narratif et ferait perdre de l'organisation au menu.

Le conditionnel laisserait un arrière-goût d'hypothèse dans l'arrière-gorge, ce qui n'est pas vraiment nécessaire, on le verra par la suite et le subjonctif serait pompeux.

Ne reste plus que l'impératif à la deuxième personne du singulier, plus proche, plus sincère, plus intime, susurré d'une voix amicale et fraternelle, finalement plus tellement impératif, heureusement !

Alors jette-toi à l'eau à la bouche, écoute ma complainte et surtout ne suis pas mon exemple !

Avant tout, choisis-toi un 24 décembre sympathique, ensoleillé et flatteur.

Va faire tes courses sans rien oublier, et pour être bien sûr et pour donner le change, couche une liste sur un billet pas encore dépensé.

Assure-toi d'être en possesion de tous les ingrédients pour ne pas risquer de dévier de ta destinée.

Il te faut :

- Une belle tranche de rôti de porc
- Un kilo de choumettes de qualité (des choux de Bruxelles pour les gens loin de la Belgique)
- Des grosses patates. Pas de rate, sinon la recette est ratée.
- De l'ail, des échalottes, des tomates, du persil et des fines herbes, un oeuf.
- De la crème fraîche, du fromage au poivre, des mandarines.
- Tout un assortiment de fromages plus nobles que celui précité au poivre.
- Des fruits, des desserts de circonstance, ce n'est pas le soir de Noël tous les jours...

Cette recette est prévue pour trois ou quatre personnes, pas plus, mais... au cas où...

Car il n'y aura que toi, c'est ça qui compte pour la recette ! C'est facile de compter jusqu'à un.

Il n'est cependant pas toujours évident d'y arriver, il te faudra dire à tout le monde que ta soirée est déjà organisée, mais seulement s'ils te le demandent...

Tu as donné ce jour de Noël à ta famille, à tes enfants, à tes amours, à tes passions, à tes amis, tous les décembres de ta courte vie, alors l'an prochain, tu es bien d'accord avec toi-m'aime, Noël seulement dans la solitude solitaire, c'est juré. Tu en rêves depuis des années, et cela n'a jamais été possible.

Prépare ton souper dans l'après-midi, non que la cuisson soit longue, mais c'est toujours bien meilleur réchauffé.

Il te faut trois feux. Une cocotte en fonte sur le petit feu, une poële sur le moyen, une grande casserole pleine d'eau sur le grand.

Cette année, tu vas déguster, vraisemblablement alone, des choumettes à la mandarine ! Mazette !

Avant quoi que ce soit, débouche une bonne bouteille, elle sera utile moins pour la recette que pour le moral !

Commence par préparer les choumettes ! Mets-les à cuire dans la grande casserole.

Pendant ce temps, dans la cocotte, dans une giclée d'huile d'olive, fais revenir une bonne demi-tête d'ail, deux échalottes, deux tomates, le tout haché (ou tronçonné, voire abattu) très fin. Lorsque tout commence à brunir, ajoute le jus de deux mandarines, attention à ne pas prendre de clémentines, l'acidité serait trop clémente.

Laisse cuire à feu doux en remuant de temps en temps tandis que dans la poële, tu mets la tranche de rôti de porc coupée en dés allongés, sans rien d'autre, car sa graisse lui suffit.

N'oublie pas de remuer dans la cocotte et de surveiller les choumettes dans la grande casse.

Lorsque les dés sont jetés, enfin façon de parler, puisque grâce à la bonne bouteille de muscat "petits grains", c'est toi qui assume ce rôle, donc plutôt lorsqu'il sont rissolés, verse-les dans la cocotte.

Il est temps d'égoutter les choumettes et de les déposer aussi dans la cocotte.

Emiette par dessus un demi-fromage au poivre, un demi-pot de crème fraîche, des herbes du jardin, du sel, du paprika et du poivre, une bonne couche de persil grossièrement coupé, et étales-y un jaune d'oeuf saupoudré d'un peu de courry pour la culeur avant de refermer et de laisser encore un petit quart d'heure.

La phase de préparation est terminée !

Profites-en pour déjà aménager le plateau à fromages, il sera très agréable plus tard de voir tous ces morceaux bariolés harmonieusement présentés sous la cloche. Ils offriront, après les choumettes, des émotions soutenues au palais lorsque le vin s'y prélassera aussi.

La phase d'attente commencera alors, ponctuée par la "bonne bouteille précédemment évoquée".

Elle ne durera pas, car le précieux liquide s'évaporera inexorablement. Le seul remède à l'état que commence à livrer la "bonne bouteille précédemment évoquée" est de solidifier le plaisir tout en le liquéfiant. Et comme il serait surprenant que des invités surgissassent à l'improviste, il est raisonnablement permis de succomber à la tentation et de se mettre à table, sans compagnie.

Choisis-toi une nouvelle boutanche plus circonstanciée, commence par presque te brûler les lèvres et la langue avec ce délicieux mélange.

Finalement, grâce aux grosses patates, la recette n'est pas ratée. C'est même excellent.

Pense à tous ceux, toutes celles qui pourraient partager ton repas, pense à la chaleur de l'amitié perdue, éxilée ce soir-là, en reprenant des choumettes.

Mais ne répètes-tu pas à qui veut l'entendre que c'est un jour comme les autres ?

N'oublie pas de ponctuer chaque bouchée avec des tranches épaisses d'un bon pain à l'ancienne ou aux olives, et de survirguler avec de petites surgorgées issues de la surboutanche sûrement surpercée, vu la survitesse à laquelle elle se survide !

Tu as déjà enfourné plus de la moitié de la cocottée, et tu ne te sens pas à même d'arrêter tellement la mandarine révèle la choumette.

Et le vin révèle la mandarine, et le pain révèle le vin, et la choumette révèle le pain qui relève du divin.

Tu te diras un instant, sans vraiment y croire, qu'au moins tu en auras encore pour demain, et que ce sera encore meilleur.

Mais tous ces parfums se mêlent, s'éclipsent et se réveillent au fil des bouchées et c'est machinalement, sans même en avoir conscience que soudain...

La cocotte est vide ! Ton assiette aussi ! D'ailleurs, tu n'y es plus vraiment, dans ton assiette !

Le drame peut alors commencer.

Le poids sur l'estomac, le repu, le remords, la honte, un soir de Noël !

Même plus faim pour ce maginifique plateau de fromages, du jamais-vu !

Bon, quand même une petite banane, ah pas de petite aujourd'hui ?

Que des grandes, bon alors une grande, pour conclure, pour dulcifier et faire passer la pilule. Ouf !

Fais-toi un café pour être à même de fixer la tasse hypnotiquement en faisant ton arithmétique vespérale et nativitale :

Tu as avalé en une demi-heure un kilo de choumettes, deux échalottes, une demi-tête d'ail, une belle tranche de rôti, deux grosses patates, deux tomates, une bonne touffe de persil, un jaune d'oeuf, un demi fromage au poivre, un demi pot de crème, un demi-pain aux olives, une banane en buvant une demi-bouteille de muscat et une demi-boutanche de Meursault. Heureusement que tu n'as pas pris de fromage !

C'est pas tous les jours le pernod, elle !

Te sens-tu un peu en cloque ? Tu as bien droit à un petit Fernet-Branca !

Alors, conclusion, pense à ta recette de Noël pour l'an prochain !

Et puis, pour quand même partager avec les amis absents en termes de choumettes mais présents par le souvenir et l'imagination, et puis si proches par les liens électroniques du futur encore naissant, mets-toi au clavier et raconte-leur ton histoire afin qu'ils la reçoivent avant minuit, tu te sentiras racheté, plus léger !

Enfin, un petit peu !

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