TRAVELLERS CHEQUES
Lors de notre voyage en moto en Inde, tout notre avoir financier consistait
en travellers cheques de l'American Express. Bloqués à Istambul
par les pannes électriques successives,
nous essayions tant bien que mal de trouver des solutions. Un petit garage
grec voulait bien réaliser l'astuce imaginée par Gérard
pour recharger la batterie, notre dynamo semblant être la cause
du problème, monter en parallèle une dynamo d'Opel. Même
d'occasion, il fallait changer des chèques de voyage pour payer
le garagiste. J'essayai cette manoeuvre dans diverses banques, impossible.
Peut-être à la gare, nous dit-on. Mais il était bientôt
six heures du soir et tout allait fermer, le weekend commençait.
Je partis pour la gare en bus avec un certain Jean-Louis, routard comme
nous et partageant notre chambre à la pension Sultanahmet. Il était
un peu décalé avec sa grosse gourde du surplus attachée
à sa ceinture.
A la gare, pas de change non plus, les Americains n'avaient pas la cote
en ces régions déjà orientales. Il fallait aller
à l'hôtel Hilton à Taksim, où se trouvait l'agence
du Türk Express.
Re-bus. Arrivés à l'Hilton, le bureau était encore
ouvert. Chance ! L'agent nous reçut courtoisement, mais il était
désolé, il n'avait plus de liquide. Je l'implorai en vain
et après dix minutes, il eut une idée : la caisse de l'hôtel
était juste en face. Je m'adressai donc au caissier qui accepta
instantanément de me changer mes bouts de papier. Etais-je résident
dans l'hôtel ? Non, alors impossible... Encore dix minutes de palabres
avant qu'il ne trouve une solution éventuelle. Si j'allais consommer
au restaurant, je pourrais peut-être payer avec ma monnaie troublante.
Il fallait demander au chef.
Je me dirigeai donc vers le restaurant et à travers la porte, je
vis les clients ou plutôt les clientes très chicos. Je pris
peur et revins sur mes pas. Une boutique de tissus dans la galerie étant
encore ouverte, j'y entrai pour demander à la tenancière
si elle croyait mon opération possible. Il y avait un client dans
la boutique. Vêtu d'un pagne blanc, d'une peau de léopard,
un cendrier en or sur la tête, ce prince africain qui avait entendu
ma question se proposa fort gentiment d'aller la poser lui-même
au chef. Je retournai donc au restaurant en cette compagnie insolite et
je restai dehors, laissant mon prince faire la démarche. Il revint
en m'assurant qu'en prenant simplement un thé, je pourrai payer
avec mes dollars.
Je retournai donc chercher Jean-Louis resté à l'entrée
de l'hôtel et nous entrâmes, moi en tenue de motard et lui
avec sa gourde. La salle était bien remplie. Les conversations
s'arrêtèrent net, et nous devînmes le point de mire
général. Nous choisîmes donc une petite table à
l'écart. En me bourrant une pipe, je laissai tomber du tabac sur
la nappe et j'étais en train de nettoyer lamentablement quand le
garçon vint à nous. Nous voulions juste deux thés.
"D'accord, mais pas à cette table. Suivez-moi !". Il
nous emmena à la table la plus centrale, nous étions particulièrement
gênés, surtout moi en réalité, car Jean-Louis
était plutôt "engourdi".
Dans un merveilleux service, un thé à l'anglaise apparut.
Délicieux. Je commençai à m'adapter à la situation
en trouvant tout cela tellement cocasse qu'il fallait en profiter et voir
la vie en bonbon. Les conversations avaient repris et on nous ignorait
carrément. Après une bonne demi-heure pour siroter cet excellent
breuvage, nous payâmes sans problème.
Le thé était moins cher que celui du Pudding Shop (le café
des routards) qui n'était que du pipi de chat. Victoire, nous allions
pouvoir installer cette dynamo prometteuse.
Pour la petite histoire, le garagiste grec était si malhabile que
nous fîmes la transformation nous-mêmes. Ça fonctionnait.
Nous allions enfin pouvoir poursuivre notre voyage vers l'Inde. Nous partîmes
donc de bon matin avant le jour, le coeur en liesse. La nuit était
comme un four. Tout d'abord, il fallait changer, non plus des chèques
de voyage, mais bien de continent. Quitter l'Europe et continuer en Asie
si proche, juste de l'autre côté du beau Sphore.
Le plus simple, mais aussi le plus cher à cause du péage,
était de passer le tout nouveau pont suspendu façon
Tancarville. Nous le fîmes, payâmes le péage et
cinq cent mètres plus loin, notre sytème explosa ! Fin
du voyage avec la moto, il fallait poursuivre autrement.
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