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Texte "Le train en Inde" par Jac PETIT-JEAN-BORET

LE TRAIN EN INDE

C'est toujours une folle aventure que de prendre un train en Inde. N'empêche, ils sont d'une ponctualité exemplaire !
Nous avions acheté des fausses cartes d'étudiant à Istambul et c'est en Inde qu'elles nous servirent le plus. Invariablement, les employés riaient de la fausseté évidente pour eux de nos cartes, mais ils nous faisaient tout de même la réduction qui était substantielle.

Je vais vous conter ici le trajet le plus épique : Bombay-Delhi après Goa, donc le début de notre retour rapide vers la France. Trente-six heures pour environ mille deux cents kilomètres.
La gare de Bombay (à présent Mumbaï) est un terminus, les voies se terminent en courbe sous le toit intégral. Nous étions en avance, par prudence. Le train n'était pas encore là et le quai était plein d'hommes en blanc sans bagages, individuellement assis à terre. Dès que le train se pointa, tous ces personnages se levèrent et coururent au-devant.
Les voitures étaient déjà presque pleines, nous ne nous étions pas précipités. Il y avait quatre classes dans les trains indiens : troisième classe, seconde classe, première classe et première classe à air conditionné. Nous avions évidemment des billets troisième classe.

Nous trouvâmes une voiture troisième classe très peu occupée et nous nous installâmes confortablement. Par la fenêtre, nous voyions énormément de voyageurs passer sur le quai, mais pratiquement aucun ne montait dans notre voiture, étrange mais bon, nous avions de la chance. Cinq minutes avant le départ, un contrôleur nous jeta dehors, c'était une voiture exclusivement réservée aux dames. Ah oui, en effet...

Il fallait donc retrouver des places, et c'était pratiquement impossible. De voiture en voiture, nous parvînmes à trouver une place sur laquelle reposait une jambe d'unijambiste assis en face. Les compartiments n'étaient pas fermés, le couloir divisait en douze places (six vis-à-vis) d'un côté, et deux (un vis-à-vis) de l'autre. Voulant prendre possession de cette unique place, je fis comprendre à l'unijambiste qu'il pouvait retirer son membre. En fait, ce n'était pas un voyageur, mais un de ces hommes en blanc qui louaient les places tout-à-fait illégalement. Un petit boulot qui semblait bien fonctionner.

Il voulut donc nous louer ces deux places, et nous ne l'entendions pas ainsi. Nous décidâmes de le virer mais il appela ses confrères et pourtant concurrents à la rescousse. S'ensuivit une algarade où deux contre une vingtaine, nous n'avions pas la moindre chance. J'avais réussi à m'asseoir et m'arc-boutais pour ne pas me faire déloger tout en haranguant les passagers en anglais qui tous avaient payé, leur disant que c'était scandaleux de se laisser rouler ainsi. Gérard avait une cigarette à la main et dans l'échauffourée, il brûla sans le vouloir un des loueurs de place. Le ton montait quand le contrôleur arriva, qui comprenant la situation, vira l'unijambiste et ses amis et nous invita à nous asseoir. Ouf !

Mais juste avant le départ du train, le loueur revint avec sa béquille, loua la place à un jeune maître bien mis et à un autre passager. Nous dûmes nous lever et céder les places.
Le jeune maître était accompagné de son serviteur, un très vieux garde sikh presque aveugle muni d'une hallebarde qui s'assit aussitôt par terre dans l'étroit couloir aux pieds de son maître. Le train s'ébranla, nous pûmes caser le sac-à-dos dans le porte-bagages et nous nous assîmes par terre à côté du serviteur. Ç'aurait pu être pire. Ce le sera bientôt...

Ce train était un omnibus et donc s'arrêta vite à chaque petite gare. A la première halte, les voyageurs du côté six places ouvrirent leur fenêtre pour acheter du tchai aux vendeurs sur le quai. Mal leur en prit, car les portières des voitures étant munies de loquets intérieurs, ils avaient été aussitôt bloqués par les voyageurs pour ne laisser monter personne d'autre. C'est alors que des familles entières pénétrèrent par la fenêtre, chaque famille munie de son matelas vert kaki roulé et servant de coffre à bagages. Une marée déferla par-dessus nous. Nous nous retrouvâmes coincés sous plusieurs étages humains.
Le serviteur avait l'habitude, mais pas moi et sa hallebarde me passait entre les jambes. Gérard était un étage plus haut. Ankylosé, je ne pouvais absolument pas bouger. Une heure et beaucoup de gares plus tard, il y eut enfin un remaniement général et je pus me lever. Le voyage se poursuivit ainsi, tous debout et pressés les uns contre les autres. Je ne sais plus comment nous avons tenu ces trente-six heures sans pouvoir même aller pisser. Je crois que nous avons uriné debout dans la masse.
Mais nous avons survécu !

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