GOA 1974
Nous arrivons de Bombay par bateau à
Goa ! Port de Panjim, le lundi 11 février. Les plages d'Anjuna
et de Calangute étant réputées pour leurs junkies,
nous choisissons une longue plage belle et tranquille plus au sud : Colva
Beach.
La première maison où nous trouvons une chambre à
louer étant très bruyante (la maison a trois pièces
et ils sont quatorze dans les deux pièces restantes, pleine de
puces dans les lits-coffres en bois sans matelas, je décide d'aller
dormir sur la plage. Gérard reste avec les puces.
On m'a prévenu qu'il y a des scorpions jaunes dans les dunes, pas
gentils. Peu rassuré, mais une nuit à la belle étoile
(et elle est très belle là-bas l'étoile) sur la plage
me plait. Je n'ai que mon duvet.
Je m'endors et suis réveillé peu de temps après par
des bruits étranges et des chants en lente mélopée.
Je ne vois rien entre mes dunes. Une secte sanguinaire ?
Je rampe et aperçois des lumières de torches à une
centaine de mètres. Je ne comprends pas trop ce que c'est mais
ça n'a pas l'air dangereux. Alors je m'approche. Ce sont des pêcheurs
qui tirent des filets loin en mer depuis la plage. Pêche à
la caluche à la portugaise, tout est encore portugais à
Goa à cette époque. Ils mettent les filets sur deux barques,
qui s'éloignent l'une de l'autre au large puis reviennent à
terre et deux groupes de pêcheurs éloignés de deux
kilomètres tirent lentement le filet jusqu'à la rive.
C'est ce que je comprends. Ils chantent en hâlant pour le rythme.
Les aussières sont munies d'oeillets tous les deux ou trois mètres
pour y glisser des bâtons tirés par deux hommes, un de chaque
côté de la corde. Voyant qu'un des pêcheurs est seul
car il n'a pas de partenaire, je m'avance vers eux et me déclare
prêt à hâler. D'accord. Eprouvant mais magique une
fois dans sa vie. Après une heure de hâlage, je n'en peux
plus, m'excuse et repars vers mon duvet. Au réveil le matin, j'ai
le plaisir de découvrir à quelques mètres une page
de journal avec quatre poissons dessus. Quel beau remerciement ! Je les
ramène à Gérard et le convainc de nous établir
sur la plage, loin de la civilisation.
Nous voilà ensuite construisant un petit abri en bambous et nous
passons ainsi deux semaines de vacances avec une baignade à vingt-huit
degrés. Il y a bien quelques requins mais pas dangereux, paraît-il
! Le rêve de l'île déserte, sauf que ce n'est pas une
île. Il faut ramasser du bois mort, aller au marché en bus
à Margao de temps en temps, faire la tambouille et surtout trouver
de l'eau douce. Pas si facile. Avec une jarre, demander aux paysans proches
de la remplir dans leur puits, d'accord mais il faut payer, je suis un
touriste...
Oui mais un touriste pauvre et ils ont finalement pitié.
Le soir, chacun son tour car on ne peut pas laisser nos affaires seules
à la hutte, aller chez Coco à quatre kilomètres,
où se réunissent les quelques babas du coin. Tchai simple
à moins d'un centime d'Euro à l'époque, double tchai
pour un centime, fish and rice, petits cookies à la banane. Les
pétards tournent et la musique joue sur le petit radio-cassette
que Coco tout fier vient d'acheter. On y retrouve Richard, compagnon de
route du Nord de l'Inde. La belle vie quoi !
Oh, la belle vie, sans soucis, sans problèmes...
La belle vie sauf que Gérard ne fait plus rien, ne se baigne plus,
ne mange plus non plus. Il veut continuer vers le sud, moi retourner au
nord. Au moment de nous séparer, je vois du jaune dans ses yeux.
Ictère ou jaunisse comme on disait alors. Hépatite A, il
n'y a que celle-là à l'époque. Sûrement contractée
à Bombay avec l'eau trouble du thé.
Plus question de se séparer, je dois aider Gérard à
guérir.
Je vais au village chercher un docteur. J'en trouve un, jeune, dans son
minuscule bungalow d'où sortent des hurlements. Il est en train
d'extraire une dent sans anesthésiant.
Une fois qu'il a fini, je lui explique mon cas, mais il n'a qu'un scooter
et ne peut aller avec sur la plage, je dois donc amener mon ami au village
avant toute chose, il me promet de trouver un logement à condition
expresse de ne pas parler d'hépatite, personne ne voudrait de nous.
Le lendemain, nous quittons la hutte en plein midi et Gérard épuisé
a du mal à avancer. C'est moi qui porte toutes nos charges et il
avance laborieusement de cocotier en cocotier, un mouchoir mouillé
sur le crâne. Nous mettons deux heures ainsi pour atteindre le village
et les babas chez Coco rient en nous voyant, Gérard devant avec
son bâton de marche, moi derrière chargé comme un
mulet. Ils ne savent pas...
Le logement promis par le toubib est une petite maison tenue par un jeune
couple avec un bébé pleureur et une mère siffleuse
pour le calmer. Le toubib arrive, examine Gérard
et nous déclare qu'il est un excellent médecin, il a fait
ses études en France, en Angleterre, en Suisse, en Allemagne, en
Italie, en Espagne... et ailleurs ! Mais il surpasse tous les docteurs
français, anglais, suisses, allemands, italiens, espagnols... et
autres, car ceux-ci feraient trois piqûres espacées chacune
de deux jours, alors que lui il compte faire les trois d'un coup, comme
une mitrailleuse, tatatatata ! Oh la la, il va me tuer Gérard !
Mais il est déterminé, convaincu et convainquant finalement.
Pas le choix, go !
Le soir, je retourne à notre hutte, déjà détruite,
sans doute par les enfants du coin.
Les jours passent, au rythme des pleurs et des sifflements, je découvre
la tinette à quelques encâblures de la maison. Etonnament
soignée, plus propre que la maison, une petite guérite fermant
d'une porte munie d'un verrou, avec un trou dans le siège en ciment
et une ouverture au-dessous par derrière. Etonnant ! Et super clean
!
J'en ai fait alors un poème, un peu déjanté mais
pas loin de la réalité, que je viens de retrouver :
PORC, SALUT !
Aujourd'hui je m'en suis allé
En vue de déféquer jusques aux cabinets.
A peine avais-je au-dessus du trou
Orienté mes fesses pour évacuer mon brou,
Que le plus fervent convive de ce restaurant,
Le porc, je l'ai nommé, est arrivé en courant.
Sans mettre de serviette, il a vite commandé
Sans consulter le menu, du Chef, la diarrhée.
Afin de ne pas le décevoir,
Je l'ai aussitôt prié de croire
A mes excuses sous forme d'un pet,
Mais qu'en ce jour j'étais fort constipé.
Ce cochon n'en a eu cure
Et s'en est mis aussitôt plein la hure.
Savourant ce mets qui devant lui a chu,
Et faisant du bruit de ses lèvres charnues.
Puis d'un grognement, a commandé une bière,
Mon colombin ayant sur lui l'effet d'une pierre.
De mon demi-pression il a eu plein les yeux,
Les oreilles et le groin, et comme ça allait mieux,
A redemandé par son grouignement scandé
Qu'un dessert et un bain lui soient accordés.
Le dessert est venu sous forme de P.Q.
Pour le bain, comme j'étais écoeuré, je lui ai vomi
dessus.
Il s'est roulé dedans avec des cris hystériques,
Me donnant pour le soir une bonne colique
Qu'il savourera de la même manière
Dans ce palais de la bouffe que sont pour lui les ouatères.
Mais somme toute, ce cochon m'a déçu,
Car si j'étais lui, je serais un lèche-cul.
Au bout de trois semaines de bons soins, Gérard allait mieux et
il put retourner se baigner. Comme quoi la mitrailleuse du toubib indien
était efficace.
Nous quittâmes alors Goa et prîmes le chemin du retour.