Ceci est "comme
un blog", un point de vue circonstancié. Un POV,
comme on lit à présent plus qu'à tort et plus qu'à
travers sur les sites racoleurs (POV = Point Of View). C'est un néointernetologisme.
Il en faut, paraît-il, mais ils sont de plus en plus désolants
(et hors de propos), je n'hésite pas à le clamer.
"Tu ne voleras pas", on dit que le bon Dieu a gravé ça dans la pierre.
Aujourd'hui même, on m'a pris pour un faucheur. J'étais à
Auchan, à Le Pontet, près d'Avignon, où je n'avais
pas mis les pieds depuis vingt ans au moins. Et j'ai trouvé chez
ces enfoirés du Fernet-Branca, que j'avais presque oublié,
mais dont j'avais souvent abusé au cours de ma vie précédente.
J'avais trois articles et au moment de passer à la caisse, moi
pauvre campagnard ignorant de la vie moderne, je me trouvai confronté
aux caisses digitales. Même plus moyen d'échanger un peu
d'humour avec de belles ou laides caissières (en tous cas banales,
malgré elles, car il faut bien endurer ce supplice pour nourrir
son encombrante famille dont le fier père s'est fait la
paire).
Il me fallut scanner, digitâter sur l'écran tactile, techniques
aberrantes pour ma pauvre sensibilité (pourtant assez accoutumée
à l'internénette). J'ai donc préféré
faire appel à la préposée aux imbéciles comme
moi, qui m'a sorti de ce mauvais pas. Ensuite, j'ai essayé de trouver
la sortie, mais j'étais systématiquement rebuté par
des portillons bornés (pourtant ornés d'un flagrant symbole
d'échappatoire valable). J'ai enfin trouvé une obligeante
issue, et c'est là qu'un vieux vigile peu viril m'a intercepté
et a vérifié mon ticket de caisse automatisé, absolument
convaincu de ma culpabilité.
Il n'en revenait pas, je m'étais bien acquitté de mon dû. Mais j'avais atterri dans un couloir interdit à l'évacuation, et il ne s'est pas privé de me faire la morale. Moi, vieux chevelu, heureusement encore pas pieds nus (j'avais pris la précaution de chausser des espadrilles avant d'entrer dans l'enfer moderne), il aurait bien trouvé un moyen de me coincer. Et il aurait joui dans son trivial futal uniformisé.
J'ai balbutié des commentaires insipides, et j'aurais voulu pouvoir
lui dire (mais ça ne vient malheureusement que plus tard) tout
ce que je pensais de sa pauvre condition de modeste flicard. Lui mettre
le nez dans son caca, à cet inconscient justicier sous-payé
par cette chaîne abominable d'extrême-droite, mais qui a pourtant
le mérite de fournir du Fernet-Branca à un prix abordable,
c'est-à dire au tiers du prix qu'on devrait acquitter chez un malhonnête
caviste.
La mort sûre dans sa triste âme de subalterne, il fut donc
obligé de me laisser partir. Une prime foutue !
J'aurais voulu lui dire (mais je ne me redirai jamais assez, on est toujours pris au dépourvu dans ces cas-là) qu'une seule fois dans ma vie, j'avais osé voler deux boulons (dont je n'avais absolument pas besoin) dans un magasin de bricolage près du quartier de la Défonce, à Courbevoie, alors que j'avais vingt-quatre ans. J'en ai aujourd'hui cinquante de plus. J'étais sorti sans encombre avec mes deux boulons inutiles, mais j'avais osé piquer ! Ce qui était en parfait conflit avec mon éducation catho exacerbée. Et donc, après trente mètres, j'avais fait demi-tour et j'avais remis mes boulons dans le casier. Mais j'avais appris le malaise envoûtant du petit voleur. Depuis ce jour, je n'ai plus jamais rien chapardé, même si parfois j'ai trouvé ça injuste et stupide. Mais si je lui avais dit ça, il n'en aurait rien eu à cirer, le pauvre bougre.
Je sais que des milliers de gens parfaitement honnêtes n'hésitent pas à commettre assez souvent ce répréhensible délit sous le couvert des pires fallacieuses raisons.
Pas moi, je sais !
(Convoleur en injustes noces, mais pas con voleur).