A Formentera, j'étais connu pour mes
chansons françaises que je chantais dans les restaurants. J'avais
été contacté par le professeur de français
du collège pour animer "des travaux pratiques".
Lors, je retournais en classe une fois par semaine avec ma guitare.
C'est chouette d'aller en classe pour chanter !
J'étais obligé par le professeur de toujours interprêter
les deux qu'il préférait : "Aline" et "J'entends
siffler le train". Ça m'emmerdait un peu, mais c'était
une condition pour continuer. Et il me donnait mille pésètes
à chaque fois, pas grand chose, mais pour moi, chaque doublon était
vital en ce temps.
Mais là n'est le sujet. C'était juste une présentation
de l'environnement.
Le prof, petit être sérieux presque coincé, conversait
fièrement avec moi en français.
Un jour, il ne me parla d'un "mir". Et d'après le contexte,
j'en déduisis qu'il voulait dire "mur". Je pris par là
conscience que tous les "u" devenaient "i" dans sa
bouche.
Trente ans plus tard, je parlais avec Pierre
qui connaissait très bien le prof. Comme moi, il n'avait jamais
osé le reprendre.
Mais il le fit. Et le prof, très très étonné,
expliqua que quand il avait appris le français, on lui avait dit
que s'il ne parvenait pas à produire le son "u", qu'il
dise "i" à la place. Et il ne s'était plus posé
de question.
Enseignant le français pendant au moins trente ans dans l'île,
tous les îliens francophones aujourd'hui disent "le mir"
(et sans doute "tirlititi chapeau pointi").
Et parfois, par facétie, en France,
je dis le "mir" aussi (une occasion de digression afin de raconter
l'histoire...).