Le soir, à Formentera, les gens intéressants,
on était sûr de les trouver un jour à la Fonda Pepe.
C'est pour ça que j'y allai presque tous les soirs pendant des
années. C'est terminé, les milanais ayant remplacé
ces gens intéressants, non que je veuille dire qu'il n'y a pas
de milanais dignes d'intérêt, mais ceux qui viennent restent
groupés entre eux, plus préoccupés de leur chemise
à 700 Euros que des non-ritals. Ils débarquent là
pour faire la bringue et se montrer, pas pour se pencher sur les autochtones
ou les autres étrangers.
Mais à mon époque bénie, ça valait le coup
de sortir le soir, même jusqu'à très très tard
(voire même très tôt).
Dans le lot, il y avait des spécimens locaux ou non qui faisaient
fuir, car on redoutait leur acharnement à vous accaparer. Il étaient
gentils, mais pénibles. Et comme j'avais pitié d'eux, je
les récoltais automatiquement.
Le premier était Xesc (prononcer
Chesk), guitariste frénétique lent, il avait fondé
une école privée de musique qui avait malheureusement mal
fini. Il écrivait aussi des poésies en langue locale. Quand
il débarquait avec sa guitare, on était sûr d'entendre
"Hasta nunca" (Comandante Che Guevara) qu'il chantait bien,
mais qu'il rythmait sans sensibilité. Il était content de
me rencontrer et me prêtait même sa guitare, j'étais
le seul à bénéficier de ce privilège, mais
je devais au préalable assister à son répertoire.
Il était un peu dingue, avait un psoriasis galopant, et il ne trouvait
pas de fiancée, son infirmière allemande n'apparaissant
plus, et ça le démangeait le Xesc, son actuation musicale
était orientée contact avec des nanas. Je viens d'apprendre
son décès en juillet 2024 (15 ans après l'avoir rencontré
pour la dernière fois).
Il y avait aussi un allemand qui se présentait comme "Aiou".
Il me fonçait dessus et m'emmerdait, bien que débordant
de gentillesse. Mais il était tellement blaireau...
Et puis, il y avait Valentí,
bipolaire extrême, mais que j'avais plaisir à retrouver.
Je l'avais rencontré lors d'un projet immobilier qui aurait détruit
le site sauvage de Punta Pedrera, il avait organisé un festival,
où il avait invité tous les musiciens locaux à venir
pousser la chansonnette. J'avais même inauguré ce spectacle,
et par chance, ça s'était bien passé, mais dès
le deuxième éxécutant, il avait pris le micro et
parlait plus fort que la musique des enjeux de cette démonstration.
Et plus ça allait, plus il était excité, il était
en crise.
C'était un grand gaillard timide, beau et très intelligent.
Il était né avec une riche cuiller dans la bouche, son père
décédé lui ayant laissé des immeubles de gros
rapport. Sa mère le laissait un peu faire, tout en surveillant,
car il était sous curatelle. Et ses crises étaient espacées
de trois mois environ. Il montait en pression, délirait sur des
projets impossibles, alors il allait en clinique psy à Ibiza, dont
il revenait légumisé pendant deux ou trois semaines. Puis
il était "normal" un petit bout de temps, et ça
recommençait. Dans ces périodes de lucidité, j'avais
plaisir à le trouver à la Fonda et discuter longuement en
castillan, un martyr pour lui, car il était très catalaniste.
Il était fan absolu de mes tableaux et de ma chanson "Le Rack'n'Rall".
Il m'a payé pour faire des graphismes de stickers, de dépliants,
d'affiches.
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Lui aussi était sur la ligne de départ pour draguer, mais
il était très timide. Il avait trouvé une technique
pour pallier à sa timidité : moi.
Une anecdote parmi tant d'autres que je n'énumèrerai pas
:
En fin d'après midi, je passe en vélo à Sant Francesc
(San Francisco), la "capitale" de l'île. Valentí
m'aperçoit, me hèle. Je m'approche. Il me dit "Tu vois
cette fille en vélo là-bas ? Elle va aller à Sant
Ferrant (San Fernando) à la Fonda Pepe. Tu vas la rattraper, lui
parler et l'escorter jusque là, tu t'assoieras dehors avec elle
et j'arriverai."
Ce que je fis exactement. Il arriva, s'assit près de la jeune allemande
et là, comme toujours, il foira tout et s'en fut. Je gardai donc
cette nana pour moi (Il ne se passa rien entre nous, mais nous fîmes
des grandes balades sur l'île et même à mon paradis,
Espalmador). C'était toujours ainsi, je draguai d'abord pour lui,
il foirait et j'avais dragué pour moi. Mais ses goûts ne
correspondaient pas tellement physiquement avec les miens. Pourtant, il
choisissait toujours des demoiselles intéressantes.
Je n'ai pas de nouvelles de Valentí. Il doit également avoir
pris de la bouteille (au figuré car il ne picolait pas spécialement).
Il était allé à l'école de mécaniciens
navals et lors des sa première affectation, il avait proposé
d'automatiser toutes les manoeuvres. On l'avait renvoyé. Ensuite,
il voulait remonter le canal du Midi en voilier, mais il avait trop de
quille. Sympathique déjanté !
Xesc au fond, Valentí au premier plan