Si tu veux vraiment grandir,
Mange ta soupe sans rechigner.
Si tu la laisses tièdir,
Elle ne va pas te réchauffer.
Il faut l'ingérer bien chaude,
Sinon ce sera de la daube.
Tu peux y tremper du pain,
Mais pas trop, sois donc malin.
Tous les soirs de mon enfance,
Et douze mois par année,
J'ai eu droit comme pitance
Au bol de soupe obligé.
Il y avait quatre modèles :
A l'oignon ou vermicelle,
Aux poireaux et pommes de terre,
Ou à l'oseille plus amère.
Pour éviter mes rejets,
Elle était toujours "passée".
La moulinette trônait
Sur la passoire pour verser.
A force d'ingurgiter,
Suis devenu soupe au lait
Jusqu'au jour où je quittai
Le foyer pour m'évader.
Je me suis vite tiré,
Peut-être pour y échapper.
Mon enfance fut choyée
Mais la soupe, j'en ai soupé.
Depuis cette drogue m'a manqué.
J'avais dû m'accoutumer.
Et ma grève n'a pas duré,
Dans la soupe, j'ai replongé.
Il ne faut jamais jurer
"Soupière, jamais plus je ne boirai de ton eau".
Dommage, car quel plaisir on loupe
Si on ne savoure plus la soupe.
Si mes chansons pour toi, c'est de la soupe,
Ça aura déteint, sans doute.
J'aimerais quand même que tu y goûtes.
Et qu'un peu tu les écoutes.
La soupe est universelle,
Si changeante, jamais pareille.
Ce n'est sûrement pas pour rien
Qu'elle a acquis ce destin.
La bonne soupe, ça se mérite.
Ce n'doit pas être du va-vite.
Il faut laver, éplucher,
A feu doux, la préparer.
Ni conserve ni tout-prêt,
En poudre ou en cubes séchés.
Résumé : pour moi la soupe,
Ce n'est pas de l'entourloupe.
Géniale soupe !
Lexique
du vingtième siècle :
La soupe était "passée" à la moulinette
Moulinex à main.
Au vingt et unième siècle, on
dit "mixée".